Pour cette visite je retrouve avec plaisir le guide Antoine Estienne, toujours aussi passionné.
La construction du Pont de Fer
Le Pont de fer a été conçu par deux architectes Belges, Basile Parent et Pierre Schaken et construit par l’entreprise parisienne, Jean-François Cail et Cie, entre octobre 1857 et juillet 1859, il mesure 316,5 m.
Basile Parent, Pierre Schaken et Jean-François Cail.
Crédit Images Guy Mandosse "Archives familiales Basile Parent" et Fonds d'Archives Ogerau - Solacroup
Il s'agit d'un des tout premiers ponts de fer, semblable à celui d'Argenteuil, mais celui de Moulins est plus long, celui d'Argenteuil ne mesurant que 195 m.
Le pont ferroviaire d'Argenteuil - collection personnelle
C’est un pont ultra moderne tant par sa conception que sa construction, en effet il utilise le procédé Triger de fondation par air comprimé.
Cette technique chasse l’eau par caisson hyperbare, normalement la remontée des ouvriers devrait se faire par paliers de décompression, ce qu’on ne savait pas à l’époque, heureusement il n’y a pas eu d’accident pendant la construction.
1 : Cylindre en tôle (puits)
2 : Tuyau pour l’introduction de l’air comprimé dans le puits
3 : Tuyau pour le dégagement de l’eau ou de l’air par suite de la compression
4 : Porte inférieure (soupape trou-d’homme) du sas pour l’introduction des ouvriers et l’extraction des déblais
5 : Porte (soupape trou-d’homme) de la partie supérieure du sas
6 : Soupape de sûreté du sas à air
7 : Robinet pour dégager l’eau de l’atelier de fonçage
8 : Robinets pour la manœuvre du sas
9 : Robinet pour suspendre le travail en cas de réparations
10 : Poulie servant à l’enlèvement des déblais
11: Cable destiné à maintenir le sas
12 :Presse-étoupes du sas pour sa jonction étanche avec le puits
A: Compartiment à l’air libre
B: Sas à air mobile
C: Atelier de fonçage
Dessin P.Damon
Après la construction du Pont de Fer, Jean-François Cail, Basile Parent et Pierre Schaken s’associent pour former la société Fives-Lille, qui produit charpente métallique, locomotive et même armement (les canons lourds des cuirassés Gambetta et Jules-Ferry en 1901).
Locomotive tender Fives-Lille, à voie normale 141 TD 740 - Crédit : Ministère de la Culture
Le pont est blanc à l’origine, il est supporté par 8 paires de piles en fonte avec du béton coulé dedans.
Carte postale de 1910 - collection personnelle, on notera le niveau de l'Allier à l'époque
On ne savait pas au moment de la construction que la fonte pouvait rouiller et donc que le béton pouvait éclater avec le gel de l’eau infiltrée, ce qui nécessitera des travaux de consolidation en 1893, 1946-1947 et 1985, des viroles en fonte ont donc été renforcées par des frettes en fer puis en acier.
Ce pont a été donc entièrement construit avec des poutres métalliques, les plus longues font 42 m de long.
Au moment de sa construction, les piliers ont été espacés suffisamment pour permettre la circulation fluviale, les arches du Pont Régemortes ont été pensées elles aussi pour permettre une circulation des bateaux de marchandises.
En effet en 1850 nous sommes au pic de la circulation fluviale sur l’Allier et la Loire, le pont construit en 1857 devait donc être pensé pour ne pas gêner cette circulation, à cette époque la ville comptait trois ports.
L’arrivée du chemin de fer par le pont est au début un complément, puis une très forte concurrence et enfin va amener la fin de la circulation fluviale à Moulins en 1880. C’est à la même époque que la multiplication des ponts dans toutes la France va mettre un terme définitif à la circulation fluviale de marchandises (sauf exception très marginale).
Le Pont bénéficiait d'un système de sécurité pour le fermer avec une barrière que l'on installait dans des encoches.
Fermé en 1972 aux voyageurs, le pont prévu à l’origine pour deux voies n’en a eu finalement qu’une, l'emplacement prévu a finalement servi pour un autorail surnommé le tacot.
On voit clairement qu'il y avait bien l'espace prévu pour deux lignes de chemin de fer
Le Tacot à Cosne d'Allier (à l'époque Cosne sur l'Oeil) - collection personnelle
La ligne du tacot a disparu en 1950, un système de pompage de l’eau rive gauche pour l’amener sous pression par un tuyau rive droite a été depuis installé à la place des rails.
Le Pont de Fer pendant la Seconde Guerre Mondiale
Le 18 juin 1940 après que le pont Régemortes ait sauté, une résistance a été installée rive gauche du pont de Fer par Lucien Polimann pour lutter contre la Leibstandarte SS Adolf Hitler arrivée par la rue de Decize, ce point de résistance s’est finalement arrêté faute de munitions, comme ultime tentative le pont de fer sera également incendié avec un feu improvisé avec des fagots, de la paille et du goudron sur le pont, organisé par l’adjoint de Lucien Polimann, le lieutenant Portal.
Cette résistance qui peut sembler dérisoire au vu de la situation militaire globale (l’armistice sera signé le 22 juin) mais ils ont été suffisamment importants pour être notés par le Panzergruppe von Kleist (dont fait partie à l’époque la LSSAH) au final le Panzergruppe est passé par le pont à Vichy, qui lui était intact. Les Allemands à Moulins s’ils sont passés par le Pont de Fer, ne l’ont fait qu’une fois toute résistance terminée.
Après l’armistice et l’installation de la ligne de démarcation à Moulins, si le Pont Régemortes est étroitement surveillé, le Pont de Fer l’est beaucoup moins, ce qui a permis à des centaines de personnes et de courriers de passer en zone non occupée.
Plusieurs méthodes sont employées :
Cache des personnes dans la locomotive, dans le tender à charbon
Déguisement en personnel de la SNCF
Lors du ralentissement rue des Garceaux, le cheminot relâchait la vapeur permettant aux gens de monter à bord sous couvert ou pour mettre des courriers ou autre dans le train
L’autorail a aussi servi, la cache la plus astucieuse a été dans le compartiment moteur, certes c’était étroit et inconfortable, mais les Allemands n’ont jamais eu l’idée de fouiller là.
Les aménagements du Pont de Fer
Après la fermeture de la ligne de chemin de fer, le Pont de Fer est resté fermé jusqu'à son rachat part la ville de Moulins à la SNCF, cet achat n'est pas définitif la ligne n’étant pas fermée de façon permanente par la SNCF. Le pont n’appartient que pour 30 ans à la ville de Moulins, si la SNCF veut rouvrir une ligne Moulins-Montluçon elle pourra donc le faire.
Ayant eu l'occasion de faire la visite des travaux en février 2019, je profite donc de cet article pour montrer les plans et les réalisations finales.
Suite à ces aménagements Le Pont de Fer est donc devenu une voie douce, voie qui ne demande qu’à s’allonger et à s’aménager jusqu'aux Ozières à Yzeure, c’est en projet, mais pas en réalisation dans l’immédiat.
Les aménagements récents permettent d’avoir une vue sur la canopée (tour nuage) la nature, sur l’Allier et les piliers via une plateforme transparente surplombant la rivière (aménagement central, attention si vous êtes sujet au vertige).
Le dernier aménagement, où le premier si on est rive droite, permettra de voir des jardins (à l’anglaise comme il est prévu actuellement) pour montrer en douceur le passage de la nature rive gauche à la ville rive droite.
Notes
Les informations sur l'action du Panzergruppe von Kleist et de la Leibstandarte SS Adolf Hitler proviennent de plusieurs sources, donc principalement le livre de Claude Paillat - le désastre de mai 1940.
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